Reportages britishs, 7

Publié le par Patrick

Les infortunes de la vertu et les prospérités du vice.

 

Paris, 3 juin 1795

Je reviens d'une promenade où j'ai trouvé divers sujets de réflexions pénibles. A l'heure du dîner, je fis visite à un vieux chevalier de Saint-Louis et à sa femme, qui vivent dans le faubourg Saint Germain.

[ chevalier de Saint-Louis : ordre royal créé par Louis 14 pour récompenser les officiers les plus valeureux. Supprimé en 1792 ]

Quand je les avais connu autrefois, ils avaient un joli revenu de l'Hôtel de Ville, et jouissaient d'un bien-être sur, vu leur âge avancé.

Aujourd'hui la porte me fut ouverte par une fille en souillon; la maison avait l'air misérable, les meubles usés et je les trouvais devant un pauvre dîner : soupe maigre et oeufs, sans pain ni vin. Nous nous communiquâmes promptement nos aventures révolutionnaires; j'appris que M du G, sans savoir ce qui se passait autour de lui, s'était trouvé suspect, à cause de sa croix et de ses quarante ans de service; que sa femme et lui avaient été enlevés de leurs lits à minuit et conduits en prison. Là, ils y laissèrent tout leur argent, pendant que les gardiens installés dans leur maison volaient ce qui pouvait être transporté et cassaient ce qui ne l'était pas.

Peu de temps après le 9 thermidor, ils furent relâchés, mais de leur appartement il ne restait guère que les murailles. M du G a près de soixante-dix ans, et sa femme ne peut guérir de l'effet de la frayeur et de la prison.

Si la dépréciation des assignats continue, il est probable que ces pauvres gens mourront de faim.

L'après-midi, nous eûmes rendez-vous avec un individu employé par le comité des domaines nationaux; il devait aider mon amie dans ses réclamations. A l'origine il était valet d'un frère de la marquise, lors de la révolution il ouvrit boutique, fit banqueroute, tourna jacobin furieux et membre d'un comité.

Dès lors il s'enrichit, il intimida ses créanciers, obtenant des quittances de dettes sans les payer. Quand les comités disparurent, il parvint à entrer aux biens nationaux; il occupe un hôtel superbe, amplement fourni de tout...

Nous demandâmes si le " citoyen " était chez lui; un domestique sans livrée nous répondit que " monsieur " s'habillait, mais que si nous voulions entrer...Nous traversâmes une salle à manger avec les restes d'un dessert, du café et des odeurs de repas affriolantes

[ Monsieur parait, il s'excuse de ne rien pouvoir pour l'amie de la narratrice. Il lui faut le plus pur civisme et l'amour de la patrie pour le faire persévérer dans sa tache. Quant aux papiers, ils semblent perdus depuis longtemps. Pour lui, malgré les efforts de la Convention pour répandre les idées philosophiques, il y a encore beaucoup de fanatisme dans le peuple.]

Comme nous nous levions pour sortir, madame entra; elle était habillée pour faire des visites, avec des bracelets aux bras et au dessus des coudes, des médaillons à la taille et au cou, bref avec des ornements partout où l'on pouvait en mettre. Ancienne femme de chambre, elle n'utilisait pas le parler républicain de son mari, mais essayait d'insinuer qu'elle avait une façon supérieure de voir les choses. 

Comme nous sortions ensembles, elle fit des amabilités à mes compagnons, tous gens de qualité et quand elle prononça le mot de " citoyen " elle le fit avec une mine de répugnance et de mépris.

[ Ceux qui font les affaires de la République doivent aussi faire les leurs. Danton ]

 

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